
Les Lucioles, texte rédigé à l'occasion de l'exposition personnelle d'Arsène Welkin à la galerie Double V, février 23
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« La société moderne est malade de distance, de cet abîme qu’elle a laborieusement creusé entre elle et tout ce qui menaçait son intégrité, ces grands « autres » terrifiants car incontrôlables, au nombre desquels on trouve en première ligne, les abstractions suivantes : la nature, les primitifs et la mort. »
Nastassja Martin - A l’est des rêves
Les nouvelles œuvres d’Arsène Welkin qui composent l’exposition Les Lucioles rendent compte d’un double voyage : en forêt et dans ses rêves. Dans les deux cas, ces « espaces » arpentés par l’artiste ont été fertiles pour son imaginaire dont il demeure toujours à l’écoute afin d’y puiser les éléments nécessaires aux choix de ses sujets ainsi qu’à la mise en place de sa palette et de ses compositions.
Dans son célèbre texte de 19751 sur la disparition des lucioles, le réalisateur italien Pier Paolo Pasolini se livre à une critique acerbe de la société italienne de son époque, en proie à une perte de sens et de valeurs sociales et démocratiques. Il affirmera alors sans détour, l’apparition d’une nouvelle forme de fascisme, dopé par un « hédonisme marchand » implacable, mis en place par ses concitoyens pour qui les choses naturelles du monde, et spécifiquement les corps humains, ne semblent désormais plus que des objets. Utilisables, jetables, transposables. Il fait alors coïncider ce changement de paradigme avec la disparition, un peu partout en Europe, des lucioles.
Arsène Welkin, né en 1993, n’a pas eu le temps de voir disparaitre les lucioles, car cela fait bien longtemps désormais qu’elles ont été avalées par les lumières de nos villes jamais tranquilles. Aussi, est-ce sans doute pour cela qu’il a décidé à l’automne dernier de partir vivre dix jours en autonomie dans les Cévennes, dont le ciel étoilé permet d’envisager plus aisément l’apparition de ces insectes luminescents. A moins qu’il ait entreprit ce séjour dans une forme de rejet de notre hyper modernité, toujours plus technologique, connectée et énergivore ? Cette prise de distance d’avec notre société contemporaine trouve également un écho dans l’utilisation récente faite par l’artiste de la peinture à l’huile, ainsi que dans ses différentes citations aux iconographies antiques, ou issues des imageries populaires. Cependant, Arsène n’est pas nostalgique vis-à-vis du passé, mais l’observe à distance raisonnable, afin d’y trouver quelques inspirations utiles au développement d’une narration personnelle, qui prend ici la forme d’une aventure entre monts, forêts et chambres à coucher.
Pour cette nouvelle série, le peintre a donné vie à une galerie de personnages qui tous, tentent de s’adapter aux enjeux de la vie en extérieur à l’aide de différents outils : lampes, carte, boussoles... Néanmoins, la présence en parallèle des insectes, fleurs, champignons n’est pas fortuite. Ainsi, Arsène Welkin n’utilise par les éléments naturels comme prétextes à la représentation humaine, mais ils sont bien les principaux sujets de scènes aussi naïves que subtilement politiques. Car rien ne laisse deviner dans ces tableaux la temporalité choisie par le peintre : temps primitifs, 90’s ou siècles à venir, rien n’est certain. Ce qui est sûr cependant, c’est que l’artiste livre ici des visions fantasmées d’un temps où la modernité n’aurait pas complètement détruit notre relation au « dehors », où il nous faudrait encore employer des loupes pour voir les petites choses ce qui nous entourent et porter de lourd manteau pour se protéger du froid.
Cette exposition ressemble alors à une carte dont les différents états de consciences explorés par l’artiste : imaginaire, rêve ou introspection, sont autant de stratégies d’émerveillement dont le but serait, à défaut de ranimer les lucioles, en devenir nous-mêmes à notre tour.
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