© Pierrick Mouton

PAVILLONS Texte réalisé dans le cadre de l'exposition personnelle de Pierrick Mouton aux Limbes, St-Etienne, décembre-janvier 2021-22

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L'exposition Pavillons présente trois ensembles d'objets réalisés par Pierrick Mouton au cours de ces cinq dernières années. Ils répondent tous à des modes de fabrication différents : artisanat, fait main, manufacturé... Formellement proches d'objets pré-existants, l'artiste détourne pourtant leurs fonctions premières. A quoi servent-ils alors ? Ils pourraient se cantonner à la simple fonction d'êtres des objets d'art voués à la : décoration / divertissement / spéculation. Mais l'artiste ne les produit pas en ce sens et nous livre des objets contrariés, non-rentables, border, mensongers mais dont l'usage renouvelé livre de précieux indices sur nos modes d'existence, de croyance et de consommation.

ANDUZE

Les quatre pièces qui ont donné leur nom à l’exposition, présentées dans la première salle, ont été réalisées selon le savoir-faire traditionnel des vases d’Anduze dans l’atelier de la Madeleine en 2O18. Ces vases en terre cuite émaillée ont été déformés et/ou retournés pour certains, afin de devenir des instruments de musique, dont les sons se rapprochent de ceux émis par des cloches. Activés le soir du vernissage par un percussionniste, ils sont présentés sur des briques afin d’améliorer leur résonnance. Les vases d’Anduze, produits dans les Cévennes depuis le 18ème siècle, sont héritiers d’une longue tradition potière et encore largement produits et recherchés de nos jours. Fruits de sept longues étapes de productions, ces œuvres conservent d’Anduze uniquement la forme cloche et le pieds douche. Ainsi, le renversement formel et usuel opéré par l’artiste place ces objets non plus du côté de la décoration, mais de celui de la sculpture contemporaine, réactivant, un savoir-faire artisanal. Sur socles, d’un noir brillant, prenant différentes poses, la taille de ces pièces permet au visiteur d’entretenir avec elles un rapport physique, voir charnel.

La légende veut que les vases d’Anduze aient orné les jardins du château de Versailles et qu’ils furent utiliser pour conserver les agrumes, cependant, l’austérité des pièces présentées ici font plus échos à une épuration des formes propre au protestantisme qu’au classicisme. Lorsque l’on se remémore l’épisode de la guerre des Cévennes, dit des Camisards, au début du 18ème siècle qui vit la révolte protestante matée par le pouvoir du roi catholique Louis XIV, ces vases apparaissent soudainement plus proches de tambours qui scanderaient une marche de résistance que de cloches d’églises. Réactivées, renversées, ces sculptures transportent ainsi jusque dans l’espace d’exposition, l’histoire de leurs origines mais également des connotations nouvelles permettant une déconstruction de nos us et coutumes.

LONDRES

Pierrick Mouton a vécu 10 ans à Londres avant de retourner à Paris où il vit et travaille désormais.
Si la capitale anglaise est connue pour son dynamisme artistique, sa réputation d’être une ville onéreuse la précède et les moyens de productions artistiques s’en trouvent impactés. C’est pourquoi Pierrick Mouton a décidé de se procurer un petit four à céramique qui lui a permis durant toutes ces années de produire de nombreux objets. Véritable « passe-temps » pour l’artiste, cette production presque à l’identique d’objets du quotidien interroge, par sa quantité, sur le projet final. Il aurait pu, à la façon d’Oldenburg (1961) ouvrir un magasin. Si « ajouter des objets » au monde apparait comme l’une des principales problématiques de notre époque à laquelle certains artiste tentent de répondre, Pierrick Mouton quant à lui, continue de créer des doublons, avec plus ou moins d’ironie.

Regroupés ensembles pour cette exposition, chacun de ces objets existe également individuellement, et nous permettent réévaluer leurs jumeaux fonctionnels. Aussi, une certaine excitation, visuelle et sensorielle, jaillit face à l’aspect presque parfaitement illusoire de ces pièces. Force est de constater que ce qui est avant tout présenté ici, c’est un téléphone qui ne sonne pas, une cigarette qui ne fume pas et une ventouse qui ne ventouse pas. Et c’est précisément dans la négation même de leurs fonctionnalités supposées que ces objets deviennent des œuvres d’art, vouées à l’observation plutôt qu’à l’utilisation.

CHANDIGARH

Voulue par Nehru, la « ville nouvelle » de Chandigarh est érigée après l’indépendance de l’Inde en 1947. Devenu capitale du Pendjab, elle revêt une grande valeur symbolique car fondée à la suite de la partition de l’Inde et du Pakistan. Cette ville modèle construite conjointement par Le Corbusier (1887-1965) et son cousin Pierre Jeanneret (1896-1967) incarne, un projet moderniste, et utopique de premier plan. Les réalisations architecturales et mobilières sont le point de départ du projet de Pierrick Mouton Exploring Chandigarg (Open to give/Open to receive), 2019 qui se situe à la frontière de la recherche, du documentaire, de l'expérience, de la narration et de la spéculation. A la suite de ces investigations, l’artiste a décidé de reproduire avec l’aide d’artisans locaux certaines pièces emblématiques (le fauteuil) mais également des œuvres originales (tapis/tapisserie). Ces productions apparaissent alors comme une réponse curative aux différents pillages que connut la ville dès les années 70. En réalisant avec et pour les habitants de la ville ces objets (une réplique d’un pédalo fut offert par l’artiste au cours de résidence), Pierrick Mouton a ainsi pu comprendre auprès d’eux de quelle manière ce projet utopique a su fonctionner ou échouer. Car Chandigarh se révèle également comme un projet autoritaire, calqué sur des modes d’organisation occidentaux qui furent aussi à l’origine de la justification de la colonisation à travers le monde. Il est ainsi important de souligner que si la ville a été divisée en 60 secteurs, seul le numéro 13 n’existe pas, résultat probable d’une peur superstitieuse de Le Corbusier dont l’origine serait fondamentalement liée à l’histoire du Christianisme.

Le film présenté dans l’exposition Pavillons et intitulé Sector 13 reprend des témoignages d’habitants ainsi que des extraits de la correspondance entre Pierre Jeanneret et son cousin le Corbusier au cours de laquelle ces derniers évoquent les « ressenties des visiteurs de la ville ».

Merci donc à Pierrick Mouton de nous offrir aujourd’hui la possibilité de lire, avant tout, les ressentis de ceux qui y habitent.